La route et la ville

Pourquoi les profs se fâchent quand vous mettez « ⇒ » au lieu de « donc »

Partir de ce qu’on sait (ou suppose) pour arriver à ce qu’on veut démontrer, c’est faire cheminer le convoi du raisonnement sur la route entre la ville d’Hypothèses et la citadelle de Bonport. Bien entendu, la moindre des choses, c’est que la route en question soit praticable. Si le convoi part d’Hypothèses, et si la route allant d’Hypothèses à Bonport est praticable, le convoi peut arriver à Bonport (oui, le nom n’a été choisi que pour ce piètre jeu de mot). Par contre, si l’on se contente de dire que la route allant d’Hypothèses à Bonport est praticable, sans savoir (ou supposer) que le convoi part d’Hypothèses, on ne fait qu’énoncer la praticabilité du cheminement d’Hypothèses à Bonport, sans assurer que notre convoi puisse effectivement arriver à Bonport.

 En mathématiques, « A ⇒ B » ( « A implique B » ) ne fait qu’énoncer la praticabilité logique du cheminement de la proposition A vers la proposition B. Une telle implication ne fournit aucune information sur la véracité de B, puisqu’on n’a a priori aucune information sur la véracité de A. Si A, alors B. Rien de plus.  Par exemple, l’implication « il y a des dragons dans tous les déserts ⇒ il y a des dragons au Sahara » est tout à fait juste. S’il y a des dragons dans tous les déserts, il y en a forcément au Sahara (le Sahara étant un désert). L’implication ne se pose aucunement la question de l’existence effective de dragons dans tous les déserts. La différence que je veux mettre en relief n’est pas celle entre implication et équivalence, relativement simple à comprendre. Certes, contrairement à la route à sens unique « A ⇒ B », « A ⇔ B » énonce la praticabilité logique dans les deux sens du cheminement entre la proposition A et la proposition B. Mais « A ⇔ B » ne se pose pas non plus la question de la véracité des propositions A et B. Ainsi, l’équivalence « mon dragon a trois ans ⇔ dans un an, mon dragon aura quatre ans » est encore juste.

Revenons à des situations plus concrètes auxquelles vous, élèves, devez faire face en mathématiques. Si l’énoncé vous demande de démontrer une implication ou une équivalence, vous devez raisonner par implications ou équivalences. Souvent, ce sera dans le cadre d’une résolution d'(in)équation. Résoudre une (in)équation, c’est déterminer l’ensemble des éléments qui la vérifient. C’est donc établir un cheminement à double sens  entre « x vérifie l'(in)équation » et « x ∈ S » (où S est un ensemble à déterminer).

Par contre, si vous savez A, et que l’énoncé vous demande de montrer qu’une certaine proposition B est vraie, il ne suffira pas, du point de vue de la rédaction, de dire « A ⇒ … ⇒ … ⇒ B ». Vous vous serez alors contentés d’énoncer la praticabilité d’une route de la ville A vers la ville B, sans avoir rappelé que votre convoi se situait effectivement en A, et qu’il pouvait donc arriver à B. Deux types de bonne rédaction s’offrent à vous pour répondre à une telle question :

(1) Nous savons A. Or, A ⇒ … ⇒ … ⇒ B. Nous pouvons donc en conclure B.

(2) Nous savons A. Donc… Par suite, … Enfin, nous pouvons en conclure B. (rédaction « en français »)

Excédés par une utilisation abusive des connecteurs logiques, bon nombre d’enseignants préconisent l’emploi de (2) lorsqu’il s’agit de démontrer effectivement une proposition. Au lycée, tous ne font pas la remarque, de peur de perdre les élèves dans des considérations pouvant s’avérer secondaires au vu de la relative simplicité de ce qu’on leur demande de faire. Ils décident alors, bon gré mal gré, de tolérer ce genre de maladresse de la part de leurs protégés. Mais lorsque ces élèves arrivent à l’université et surtout en prépa, ils se rendent vite compte que la tolérance a laissé place à la froide implacabilité. Mieux vaut donc les prévenir le plus tôt possible, tout en continuant à corriger leurs maladresses avec une bienveillance relative.