Navire gravé

Un esprit fort rebelle attendant de nourrir
cette idée pour laquelle on consent à mourir
entendit dans le sel des remords indistincts
l’océan faire appel à ses nobles instincts :

Sur son dos trépidant, je me lance à l’assaut
de vos porteurs d’épice et vos forts portuaires.
Les tritons à trident dont j’ai fait mes vassaux
coudront vos drapeaux blancs en linceuls mortuaires.

Nos sueurs étouffées par l’odeur de la poudre
délavent sur le pont de vos sangs les empreintes.
Dans le large profond, je fais taire la crainte
de n’y jamais trouver ce chemin pour m’absoudre.

Mais j’ai trouvé celui menant à votre port
et par un jour de pluie, mon pavillon de mort
intrépide coureur, brave sous vos murailles
les grondantes lourdeurs des boulets de mitraille.

Tandis que sous vos toits, narguant vos défenseurs,
mes marins voguent vers leur victoire prochaine,
la tour Saint-Nicolas et sa petite soeur
nous piègent dans les fers bien cachés de leur chaîne.

Sur des débris épars, mon pavillon en berne
accepte comme moi son statut de captif.
Citadins votre loi me garde sous sa griffe
et la lueur d’un phare éclaire mes ans ternes.

Pour vous les raconter, je laisse sur les murs
de ma tour bien nommée ces bribes de gravures.
Des outils de fortune, un geste bien précis :
la roche est l’opportune estrade du récit.

Malgré ce long tumulte entre l’être et l’avoir
qui me fit quitter mes compagnons du devoir
et puis ma bien-aimée, je ne puis qu’être fier
de n’avoir point perdu la main sur ma matière.

A.H.