Le prince et son geôlier

La souffrance était insoutenable. Son tortionnaire débordant d’idées macabres lui faisait maintenant subir le supplice suivant: il le trempait à la verticale dans un bain à très haute température, jusqu’à submersion totale des jambes, et l’en retirait aussitôt, réitérant nonchalamment l’opération tandis qu’il prenait des notes. Décrivait-il, en scientifique fou, les réactions de son prisonnier aux divers stimuli auxquels il le soumettait ? Étrangement, le geôlier semblait n’accorder aucune importance aux réactions de sa victime.

Un parfum subtil et puissant se dégageait de l’eau à quasi-ébullition. Dans son malheur, le prisonnier royal lui trouvait une douce amertume. Quelles que fussent les lubies de son tourmenteur, quelles que fussent les informations qui l’intéressaient, le malheureux captif ne parlerait pas. Il en allait de son honneur de prince de ne rien révéler, de n’exprimer sa douleur par aucune plainte. On n’obtiendrait pas de lui telle satisfaction.

Le martyre se prolongea sous l’œil vitreux et désintéressé du colosse tortionnaire, abrité derrière d’énormes lunettes. Quels ordres exécutait-il ? Le prince ne manquait certes pas d’ennemis, mais leurs griefs tournaient quasiment tous autour de cette même histoire de succession, officiellement réglée depuis bien longtemps. Et son oncle qui n’avait de cesse de souffler sur les braises de la rébellion… Ses réflexions sur la situation politique du royaume eurent l’éphémère avantage de lui faire oublier son intense douleur physique. Mais cela fut de courte durée : son geôlier dénué d’émotions fit durer la dernière submersion si longtemps que son pied se détacha dans un hurlement de douleur. Il fut plus catastrophé par le fait d’avoir été tiré contre son gré de son mutisme, que par cette perte corporelle majeure.

« Zut !  » Indigné par les multiples tentatives d’arnaque de l’élève dont il corrigeait la copie*, l’enseignant à lunettes en avait oublié de retirer son biscuit de la tasse de café fumante. Un morceau dudit biscuit s’en était logiquement détaché, et quelques gouttes de café se trouvèrent, dans la confusion, projetées sur la copie de l’élève. « Amplement mérité », écrivit-il furieusement dans la marge.

*une décomposition matricielle LU ou un truc du genre

A.H.